Mannlicher 1894

UN PISTOLET MANNLICHER MODÈLE 1894

« Un voyage dans la préhistoire du pistolet semi-automatique »

Par : Luc Guillou et Hervé Matous

Un article de la Gazette des Armes

De 1890 à 1900, les progrès de la métallurgie et l'apparition de poudres sans fumée favorisèrent l'éclosion de nombreuses inventions en matière d'armes d'épaule et d'armes de poing. Pour ces dernières, les nouveautés apparurent surtout dans le domaine des pistolets semi-automatiques car les armuriers et les inventeurs cherchaient à remplacer le revolver par une arme moins épaisse et plus rapide à recharger. En quelques années, on vit se multiplier les projets prometteurs élaborés par Hugo Borchardt, Paul Mauser, Andréas Schwarzlose et par un inventeur extrêmement fécond et talentueux, Ferdinand Mannlicher.


 
L'ingénieur autrichien Ferdinand Mannlicher était devenu célèbre en concevant les fusils à répétition à magasin vertical alimenté par lame-chargeur introduite. Après l'avènement des cartouches à poudre sans fumée, il entreprit de créer des pistolets à répétition semi-automatiques. Ferdinand Mannlicher figure sans nul doute parmi les pionniers du pistolet automatique car, entre 1893 et 1905, il déposa presque chaque année un brevet pour un modèle de pistolet automatique.


UN INVENTEUR PROLIFIQUE

Le premier brevet DRP n° 79090, enregistré le 12 décembre 1893, ne se concrétisa apparemment pas par une fabrication industrielle et le « Mannlicher modèle 1893 » ne paraît pas avoir dépassé le stade du prototype.

Pourtant, les dessins de ce brevet montrent que cette arme fonctionnait par avance du canon au départ du coup, sous l'effet du frottement du projectile. Ce principe de fonctionnement surprenant sera également adopté par Andreas Schwarzlose pour son pistolet modèle 1908. L’alimentation était assurée par un magasin fixe, placé devant le pontet, comme sur le Mauser C.96.

Quelques mois plus tard, Mannlicher déposait un nouveau brevet allemand couvrant le mécanisme d'un nouveau pistolet, fonctionnant encore par avance du canon à l'intérieur d'un manchon fixe, mais cette fois alimenté par un magasin logé dans la poignée et non plus devant le pontet : une disposition qui permettait de réduire la longueur totale de l'arme. Le brevet allemand fut complété par le dépôt de plusieurs autres brevets aux États-Unis, en Grande-Bretagne, puis dans les principaux pays européens (France, Belgique, Suède, Italie, Hongrie et Suisse).
A la différence du pistolet précédent (parfois appelé modèle 1893), le Mannlicher modèle 1894 fit l'objet d'une fabrication, qui comporta plusieurs séries. Les modèles de la présérie comportaient un magasin à double colonne contenant 10 cartouches sur deux piles imbriquées : une particularité unique pour une arme de poing de cette époque. Ces armes pouvaient être chambrées soit en 7,6 mm, soit en 6,5 mm Mannlicher. Certains pistolets furent livrés avec un canon de rechange, permettant de passer d'un calibre à l'autre.
Le magasin à double colonne ne donnant probablement pas pleinement satisfaction, cette disposition fut abandonnée sur les modèles de la première fabrication de série, au profit d'un classique magasin de cinq cartouches disposées sur une unique colonne.  
L'armée austro-hongroise se livra à une évaluation de l'arme en calibre 7,6 mm, au cours de l'été 1894. Les essais furent toutefois décevants car les cartouches étaient alors chargées avec des poudres sans fumée qui n'étaient pas encore totalement au point. Après le tir, les cartouches laissaient beaucoup de résidus imbrûlés, qui finissaient par bloquer le mécanisme.

Un bon fonctionnement ne fut obtenu que lorsque les cartouches purent enfin être chargées avec une nouvelle poudre fournie par Dynamit Nobel. Les bons résultats de fonctionnement obtenus encouragèrent l'armée austro-hongroise à poursuivre ses évaluations des pistolets semi-automatiques et à passer dès 1895 au stade des essais en corps de troupe et à éditer une notice d'utilisation de l'arme.

L'armée suisse s'intéressa aussi au Mannlicher modèle 1894 dans le cadre des évaluations de pistolets semi-automatiques qu'elle menait alors en vue de remplacer ses revolvers modèle 1882. Pour ses essais, l'armée suisse fit fabriquer quelques dizaines de pistolets Mannicher modèle 1894 par la fabrique d'armes de Neuhausen, dont la marque fut apposée du côté droit du boîtier de l'arme. Les pistolets essayés par la Suisse étaient chambrés en calibre 6,5 mm. Une partie des pistolets des essais suisses furent dotés d'une pédale de sûreté placée à l'arrière de la poignée.


UTILISATION DU MODÈLE 1894

Pour armer le pistolet, il fallait tout d'abord armer le chien, après quoi l'utilisateur repoussait le canon vers l'avant, jusqu'à accrochage sur un levier arrêtoir du canon, situé au-dessus de la queue de détente. Le tireur introduisait ensuite une lame-chargeur dans le guide se trouvant en haut du boîtier, puis poussait les cinq cartouches de la lame-chargeur à l'intérieur du magasin. Une fois les cinq cartouches logées dans le magasin, le levier de retenue du canon s'effaçait et le canon revenait à sa position initiale, sous l'effet du ressort récupérateur logé dans le manchon de canon. Lors du mouvement de recul, le canon chambrait la première cartouche. L'utilisateur retirait alors la lame-chargeur vide. 
S'il n'avait pas l'intention de tirer immédiatement, il laissait le chien revenir en position de repos en freinant son mouvement avec le pouce. Pour tirer, il devait soit ré-armer le chien, soit exercer une longue pression sur la détente, l'arme fonctionnant alors en double action. Du fait de la pression importante qu'il fallait exercer sur la détente, il était recommandé de tenir le pistolet avec l'index en avant du pontet, de presser la détente avec le majeur et d'enserrer fermement la poignée avec les deux derniers doigts.
Pour tirer, le chien était armé avec le pouce de la main droite et une pression sur la queue de détente suffisait à le libérer, pour qu'il vienne percuter l'amorce de la première cartouche. L'étui vide était extrait et éjecté en fin du mouvement avant du canon.



CARACTÉRISTIQUES 

Calibres : 7,6 ou 6,5 mm
Cartouches : 7,6x24R ou 6,5x23R Mannlicher
Longueur totale : 230 mm
Longueur du canon : 185 mm
Masse : 960 g
Capacité du chargeur : 5 cartouches
Classement : catégorie D
 


CONCLUSION

Les essais austro-hongrois, comme les essais réalisés par l'armée suisse et, plus tard (vers 1900), par l'armée américaine, se soldèrent par le rejet du modèle 1894. Il semble qu'environ 200 Mannlicher modèle 1894 aient été fabriqués dont environ 150 par l'Österreichische Waffenfabrik Steyr et le reste par la société industrielle suisse de Neuhausen am Rheinfall (SIG).
Dès 1895, Ferdinand Mannlicher renonça au principe de fonctionnement par avance du canon et breveta un nouveau modèle de pistolet semi-automatique comportant un canon fixe et une culasse mobile non calée. Enfin, en 1896, il fit mettre en fabrication un nouveau pistolet semi-automatique : le modèle 1896, sur lequel beaucoup d'archaïsmes avaient été supprimés, dont l'alimentation était assurée par un magasin fixe placé en avant du pontet, pour lequel il fit développer une cartouche à gorge, promise à un certain avenir : la 7,63 mm Mannlicher.


REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient l’Hôtel des Ventes VASARI AUCTION 86 Cours Victor Hugo 33000 Bordeaux www.vasari-auction.com pour la mise à disposition du pistolet Mannlicher 1894 et des photos.


SOURCES

« Vom Ursprung der Selbtladepistole » par Joseph Mötz et Joschi Schuy - édité par les auteurs.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS de l’article original de la Gazette

1/ Le pistolet Mannlicher modèle 1894 : une arme rare, qui appartient à la catégorie très recherchée des premiers pistolets semi-automatiques.

2/ Ferdinand Mannlicher (1848-1904). Cet inventeur extrêmement fécond fut anobli en 1892 par l'Empereur François Joseph et devint alors « l'ingénieur en chef chevalier von Mannlicher » (Oberingenieur Ritter von Mannlicher). Cet anoblissement, antérieur à ses travaux sur les pistolets semi-automatiques, récompensait la mise au point des fusils et carabines Mannlicher qui étaient réglementaires dans l'armée austro-hongroise.

3// Mannlicher modèle 1894 vu du côté droit.

4/ Dessin en coupe du pistolet Mannlicher modèle 1894. Le levier servant à immobiliser le canon, lorsqu'il est en position avant, figure en couleur rouge.

5/ Boîtier vu de dessus. La flèche désigne la pièce servant à pousser le canon vers l'avant. A l'arrière du boîtier, on distingue également le guide de la lame-chargeur, le cran de mire (poli blanc) et le chien.

6/ Arme en position de chargement avec le canon repoussé vers l'avant.

7/ L'élévateur du magasin.

8/ Une lame-chargeur de cartouches de 7,6 mm.

9/ Vue de l'arme avec canon accroché en position avant.

10/ La manufacture d'armes de Steyr vers 1905. Cet énorme établissement, fondé par Alfred Werndl, produisait à cette époque de nombreux types d'armes pour l'armée autrichienne, pour l'exportation et pour l'usage civil. 

11/ Le chien, ici en position armée, devait soit être réarmé avec le pouce entre chaque coup, soit actionné en double action (comme celui d'un revolver).

12/ Le canon du Mannlicher modèle 1894 est logé dans un manchon qui abrite le ressort-récupérateur et porte un guidon à face arrière usinée en croissant, alors que le guidon des modèles de présérie avait une forme semi-circulaire.

13/ La flèche indique le ressort actionnant le levier arrêtoir du canon.

14/ La poignée courte du Mannlicher modèle 1894 était inconfortable pour le tir en double action. Aussi était-il conseillé de l'enserrer entre l'auriculaire et l'annulaire, d'actionner la détente avec le majeur et de stabiliser l'arme à l'aide de l'index, posé en avant du pontet.

15/ Le magasin est solidaire de la plaque de recouvrement et de la plaquette de poignée gauche. Une fois cette partie du mécanisme démontée, les pièces de la platine sont largement exposées.

18/ Vue de détail de l'élévateur et de la partie supérieure du magasin.

17/ La flèche désigne l'arrière du levier arrêtoir du canon, dont on voit ici l'interaction avec la gâchette. La carcasse porte le numéro 10, que l'on retrouve sur toutes les pièces de l'arme.

18/ Le Mannlicher modèle 1896 concrétise l'abandon par Mannlicher du principe du magasin fixe et du fonctionnement par avance du canon au profit d'une alimentation par chargeur et d'un fonctionnement faisant appel à une culasse mobile. (Photo : James Julia Auction)

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